"Nous sommes la seule galerie photo du Moyen-Orient". Gros plan.
Vous la trouverez tous les jours dans sa galerie, Empty Quarters, sa seconde nature, ou aux alentours, dans Gate Village dont elle a contribué au buzz artistique. La photographie est non seulement sa passion mais Safa Al Hamed a une ambition plus large : transmettre son goût et ses connaissances de l’art aux jeunes Arabes de la région. Rencontre.
Comment avez-vous eu l’idée d’ouvrir Empty Quarters, une galerie entièrement dédiée à la photographie ?
Princess Reem Al Faysal (associée) a un message à faire passer. Elle m’a donné l’inspiration et l’amour de la photo. Nous sommes la seule galerie photo des Emirats arabes unis et du Moyen Orient. Empty Quarters a officellement ouvert ses portes en mars 2009 mais Princess Reem et moi avions cette idée en tête deux ans avant son ouverture. Princess Reem en est à l’origine. Nous sommes les premières à avoir lancé une galerie de ce type sur ce marché. Il n’y avait rien. Si nous ne nous étions pas jetées à l’eau, il n’y en aurait pas.
Parlez-nous du marché de l’art à Dubai ?
Le marché de l’art progresse très rapidement ici. En Europe, il est déjà à son pinacle mais ici il est en plein développement. Tous les artistes viennent à Dubai car ils sentent le potentiel créatif et de développement.
Quelles ont été les réactions à l’ouverture de la galerie ?
Beaucoup ont adoré l’endroit même si ils avaient des doutes sur le fait que nous nous concentrions sur la photo uniquement. C’est un marché de niche. « Pourquoi seulement la photo ? Y a-t-il des collectionneurs ici pour ce marché ? » s’interrogeaient-ils. « Vous payez un loyer très cher… Exposez des peintures, des sculptures au moins… » Voilà les réactions des visiteurs locaux ou non et des artistes. Cet endroit est le mieux situé (Empty Quarters se trouve dans Gate village, en face du restaurant français La Petite Maison) et les artistes venaient nous demander de les exposer. Nous devions leur dire « non, nous ne faisons que de la photo… »
Et d’ailleurs vous ouvrez une galerie traditionnelle ?
The Cube Art Gallery. C’est aussi un projet unique. Nous sommes trois associées : Princess Reem Al Faysal, Lulu Al Hamood qui est artiste aussi, et moi-même. Ensemble nous avons un message spirituel. Nous espérons ouvrir Cube Art en Mars. Nous essayerons de le faire une semaine avant Art Dubai si la logistique autour nous le permet.
Quelle est la démarche de vos expositions ?
Notre style est différent. Dans chaque exposition, il y a une histoire en coulisses. Nous envoyons beaucoup de messages. Chaque artiste a son propre message d’ailleurs. C’est aussi comme une sorte de musée en même temps.
Vous me disiez vouloir éduquer les gens de la région en ce qui concerne l’art ?
Oui, notre but est d’éduquer les gens, leur montrer la valeur de l’art. Nous ne sommes pas là pour vendre uniquement. Si vous me le permettez, je vais faire une comparaison avec la cuisine : certaines personnes vont diner La Petite Maison, d’autres prendront du Kentucky. Princess Reem me disait qu’en tant que photographe, elle voulait éduquer les Arabes à ce qu’est la photographie. C’est un marché émergent.
Recevez-vous des aides de sponsors privés ou du gouvernement ?
Nous n’en avons sollicité d’aides mais nous allons changer de stratégie cette année afin d’être plus actifs. Nous faisons tout cela pour les prochaines générations. Dans 50 ans, nous serons reconnus comme les meilleurs en terme de qualité, d’impression, de capacité à raconter des histoires. J’entrevois la lumière.
Comment est-ce de travailler comme femme locale à Dubai ?
Sheikh Mohammed a toujours inspiré les femmes. Il les aide à démarrer et les veut éduquées et fortes. C’est un grand soutien. Mais, vous savez, même nos parents nous aident, nous aident choisir pour nous-mêmes. Personnellement, au début, j’ai commis beaucoup d’erreurs. Je n’avais pas de sens pratique. J’étais émotionnelle. J’ai gagné en expérience et j’apprends encore. Les décisions étaient loin d’être faciles car il n’y avait rien ici. Il fallait une vision mais il n’y avait rien à quoi se raccrocher. Nous avons du faire beaucoup de marketing.
Comment votre père a-t-il réagi lorsque vous lui avez annoncé que vous alliez ouvrir une galerie d’art consacrée à la photo ?
Mon père a ri et s’est moqué de moi au début. « Si tu veux t’amuser, vas-y, » m’a-t-il dit. Chacun a un rôle dans cette vie. Nous avons un message à délivrer. Il y a des gens à éduquer. Il existe trois catégories de gens : ceux qui donnent, ceux qui donnent et prennent en échange, et ceux qui prennent. Je suis de la première catégorie. Je suis désolée de m’exprimer ainsi mais nous sommes plus que des animaux qui se contentent de se nourrir et de se reproduire. Nous aspirons à autre chose. Tout le monde cherche à être heureux et certaines personnes le sont quand elles donnent. On ne peut pas se satisfaire en prenant. En fait, ici les gens sont des donneurs. C’est pourquoi cette ville s’est construite comme ça. Ici, nous pensons aux autres, nous les gardons à l’esprit lorsque nous bâtissons. Il y a beaucoup de gens de la première catégorie ici. Si vous donnez, vous réussirez. C’est la vie : donnez, donnez, donnez et ne pensez pas au retour.
Qu’aimez-vous dans la photographie ?
J’aime l’histoire, le message, le côté spirituel qui s’en dégage et les souvenirs. C’est un medium rapide aussi. La photographie capture les choses, les moments. Un musée sans photos n’est pas un musée. Les photos nous parlent du passé. Elles sont documentaires. J’aime l’histoire. Notre qualité d’impression est très bonne et nos photos resteront en état des centaines d’années. C’est important que les gens sachent qu’elles leur survivront. Sinon, elles n’ont pas de sens. Nous allons ouvrir un studio d’impression à Al Quoz, peut être en mars également…
Que voyez-vous comme évolution depuis que vous avez ouvert il y a cinq ans ?
Entre 2007 et 2013, j’ai déjà été témoin d’une grande évolution du marché de l’art à Dubai. En 2007, nous étions seuls Gate Village ! Nous ne savions pas si Gate Village deviendrait ce quartier de galeries.
Es-ce plus acceptable aujourd’hui de faire carrière comme artiste lorsqu’on est émirati ?
Pour la plupart des artistes c’était difficile. La vieille génération leur disait « fais quelque chose de sérieux ! » C’est plus accepté d’être artiste pour la nouvelle génération. Avec un job à côté pour pouvoir vivre.
Êtes-vous la seule à avoir opté pour une carrière dans le monde fde l’art dans votre famille ?
Oui. Nous sommes sept frères et sœurs et les autres sont soit avocats, hommes d’affaires, ou dans la construction dans le groupe de mon père.
Quels sont vos photographes préférés ?
Steve Mc Curry bien sûr, mais tout le monde aime son travail. Le travail de Princess Reem qui est rempli de sens et d’âme. J’aime son style mais le sens qu’elle donne à son travail. Ce sont des photos en noir et blanc. Nous avons aussi découvert et exposé Al-Moutasim Al Maskery, un photographe d’Oman. Il est encore peu connu mais je vois son avenir. Dans cinq ans, vous verrez. Il a du talent.
Avez-vous des photographies au mur chez vous ?
Dans ma chambre, j’ai une photo de Marti Becca et une de Gonoviva. Et dans la maison… Mon père adore les portraits, en fait. Je réalise ça en vous parlant. Il collectionne des portraits de famille. Vous voyez, comme moi, il aime la photographie. Je dois le lui dire ! (elle rit) Il y a 20 ans, un photographe anglais connu a fait des portraits de mes parents et c’est sans doute l’un des meilleurs de mon père. Il l’adore.
Travaillez-vous à d’autres projets ?
Nous planifions d’ouvrir une école de photographie. Ce sera un centre dédié à la photo dans DIFC, The gate village.
Avez-vous des rêves pour Dubai et la région ?
Je suis fière d’être originaire d’ici. C’est une industrie en progrès. Dans tous les domaines. Je le vois. Le gouvernement fait de son mieux pour nous rendre heureux et travaille dur pour cela. Les gens d’ici aiment leur gouvernement et Sheikh Mohammed est comme un père pour nous. Vous savez sur ma table de nuit j’ai une photo de Sheikh Hamdan bin Mohammed Al Maktoum et de Sheikh Mohammed comme des membres de ma famille. Vous ne trouverez cela nulle part ailleurs dans le monde. Nous l’aimons. C’est un donneur. Il est très généreux. Sheikh Zayed et Sheikh Rashid ont enseigné à aimer le peuple. Dans la vie, souvenez-vous de cela : si vous dites les choses avec le cœur, elles atteindront le cœur ; si vous dites les choses avec la bouche, elles atteindront l’oreille.
Vivez-vous de façon traditionnelle ?
Les traditions sont importantes. Nous vivons ainsi. Ce matin, j’ai pris mon petit déjeuner, assise par terre. C’est important de garder sa personnalité. Et c’est ce que les gens cherchent. Si vous allez au Japon ou en Chine, ce qui vous intéresse c’est de découvrir leur traditions sinon on trouve des Starbucks partout.
Quelle est la ville de vos rêves ?
Sheikh Mohammed transforme nos rêves en réalité. Il va au delà de nos rêves. Que peut-on vouloir de plus ?
Avez-vous vécu à l’étranger ?
Non. J’ai passé quelques mois à l’étranger mais je n’ai jamais vécu ailleurs.
Votre endroit préféré ici ?
J’aime la vue sur la mer depuis le Jumeirah Beach Hotel.
Comment vous ressourcez-vous ?
Je rentre chez moi, dans ma chambre. Je me retrouve et je médite. Je suis très spirituelle. Si je suis triste, par exemple, Je regarde vers le haut, et je suis convaincue qu’Il va me sauver.
La galerie expose actuellement le travail de Marc Riboud