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«L’entreprenariat est quelque chose de nouveau»

Publié le par Kyradubai

«L’entreprenariat est quelque chose de nouveau»

Shaika Al Shamsi a rejoint le Khalifa Fund il y a moins d’un an, un fonds d’investissement du gouvernement d’Abu Dhabi de deux milliards de dirhams (420 millions d'euros) dont le but est de soutenir une nouvelle génération d’entrepreneurs émiriens… Et émiriennes, comme l’explique la toute jeune recrue du département « développement entrepreneurial ». INTERVIEW.

Pourquoi avoir postulé au Khalifa Fund ? Quelle a été votre motivation ?

Honnêtement, lorsque j’ai postulé je ne savais pas exactement ce qu’ils faisaient. Durant l’interview, j’en ai su plus. Maintenant, la motivation c’est la récompense de voir que l’on aide les gens à démarrer leur affaire.

Quel est votre rôle ici ?

Je m’assois avec les candidats –qu’ils aient une idée nouvelle de business ou une affaire établie- pour comprendre leurs besoins, les présenter à un comité et si celui-ci accepte leur proposition nous allons de l’avant développant avec eux une analyse financière, une étude afin de voir si leur projet est réalisable ou non, un stage, un business plan et finalement un prêt. Nous contrôlons aussi les finances à postériori et la partie opérationnelle.

Qui sont vos candidats ?

Des Emiriens. C’est le critère numéro 1. Ils doivent avoir plus de 21 ans, des deux sexes, ayant fait des études ou non. Nous nous intéressons surtout au candidat en lui-même. A-t-il les qualités nécessaires à l’esprit d’entreprise ? Son profil correspond-il à son business model ? Si oui, nous allons de l’avant.

Ils viennent de tous les émirats ?

Oui. Nous avons des branches à Ras Al Khaimah, Ajman, Fujeira, Al Ain, Al Jharbia (à deux heures d’Abu Dhabi) et à Abu Dhabi, la maison mère.

Les fonds viennent d’Abu Dhabi?

Ils sont donnés par Sheikh Khalifa, le président des E.A.U. C’est un fonds gouvernemental. Nous sommes une organisation à but non lucratif. Nous ne prenons aucun intérêt sur les prêts que nous accordons. C’est comme une roue.

Quels sont vos projets ?

A Abu Dhabi, les prêts peuvent atteindre des millions. Certains projets d’usines ont besoin de plus gros prêts. Dans les émirats du nord, la limite est de 500 000 dhs. Mais nous accordons aussi des micro-crédits de 20 000 à to 50 000 dhs.

Quel est le ratio hommes/femmes des candidats qui postulent pour un prêt ?

Entre 20 et 50% de femmes selon les Emirats (le Fonds ne souhaite pas divulguer les chiffres précis par Emirats)

Tout le monde peut postuler?

Oui. Il n’est pas nécessaire d’avoir un petit revenu. Des sheikhs ou des membres de la famille royale peuvent aussi se porter candidats. Mais nous avons aussi le Sougha programme pour des gens qui sont à priori inemployables car ils n’ont pas d’éducation ou des règles très strictes à la maison qui leur interdisent de travailler.

Combien de projets acceptez-vous?

Certains projets sont refusés à la sélection. Sut 10 projets, seuls deux passent ce stade. Ensuite nous analysons les besoins financiers, le business plan. Le comité prend la décision finale. A ce niveau, seul un projet reste en lice. Nous cherchons avant tout à protéger le postulant car il s’agit d’un prêt, pas d’un don.

Quelle forme prend votre soutien ?

Nous faisons du conseil, de la formation et du financement. Nous avons aussi des laboratoires (incubateurs). Nous avons un labo-cuisine à Al Ain pour les restaurateurs et les projets dans la restauration. Ils viennent avec leurs produits et intègrent le programme mais nous leur apportons toutes les ressources nécessaires à la mise en place.

Vous travaillez également pour le Sougha programme ?

Oui, en partie. La fondatrice est Leila Ben Gacem. Elle est tunisienne. C’est une femme extraordinaire. Elle est partie de rien et a créé tout le programme malgré tous les gens qui disaient que ce projet n’était pas réalisable et pas durable. Cela a demandé beaucoup de travail et de patience.

Que veut dire Sougha ?

Le cadeau du voyageur.

Quelle en est l’idée ?

Offrir des opportunités à des Emiriens inemployables ou difficilement exploitables sur le marché de l’emploi et qui ont pourtant un potentiel entrepreneur. En général, ce sont des personnes qui ont des compétences artisanales. Sougha identifie ces artisans, hommes ou femmes. Ils travaillent la feuille de palmier, le sadu (la laine de chèvre), ou le talli (la broderie). Nous avons aussi introduit la fabrication des bougies. Car beaucoup de ces femmes produisent de l’encens, le bukhoor, le dukhoor. Nous avons essayé d’identifier un produit qui utiliserait ce savoir-faire. Nous leur enseignons comment produire la cire, l’emballer, la parfumer. Nous fournissons le matériau de base et elles le vendent et en retirent le profit. En général, elles travaillent de la maison et font ça comme un hobby. Elles travaillent aussi sur leurs vêtements, font des tapis. Nous essayons d’identifier les potentiels et de trouver des opportunités.

Vous allez à elles, elles ne viendraient pas à vous sinon ?

Tout à fait. Elles vivent à Liwa ou Sila à Abu Dhabi, Khor Fakkan à Sharjah, ces régions rurales. Nous travaillons aussi à Fujeira, Ras Al Khaimah et Ajman.

Comment entendez-vous parler d’elles ?

Dans chaque émirat, le Ministère des Affaires sociales dispose d’un endroit où les femmes se réunissent, une sorte de coopérative. Un bus vient les chercher tous les jours afin de leur donner l’opportunité de produire cet artisanat. C’est un lieu de rendez-vous pour elles. Nous identifions donc ces lieux et les contactons. La différence avec Sougha c’est que nous les conseillons afin que leurs produits s’adaptent au marché et soient vendables. Mais dans certaines zones, Leila a aussi frappé aux portes. Elle a carrément fait du porte à porte pour voir qui serait intéressée. Elle les réunissait dans une maison et les formait ou les sensibilisait tout simplement. Car à ce stade, elles ne comprenaient pas encore le concept.

Elles ne comprenaient pas que ce qu’elles fabriquaient avait une valeur pécuniaire ?

Tout à fait. Cela leur a pris du temps pour y croire. Leila a du approcher une soixantaine de femmes et seules quatre sont restées en stage. Lorsque ces quatre là ont commencé à vendre leurs produits, les autres ont commencé à y croire. Donc après avoir identifié ces femmes, nous les laissons fabriquer leur savoir-faire. Nous les aidons à produire des choses plus modernes. Au lieu de faire des tapis, nous leur disons de faire des protections pour les livres, des choses plus faciles à vendre.

Elles n’ont aucune idée du marché ?

Non. Mais vous savez, honnêtement, l’entreprenariat est quelque chose de nouveau ici. Nous sommes tout juste en train de découvrir que nous pouvons faire des choses pour nous mêmes.

Qu’est ce que Sougha leur apporte ?

Beaucoup de confiance en elles. Elles se sentent réhabilitées. Il faut les voir… De timides et vulnérables, elles deviennent présentes, sûres d’elles. Vous les appelez pour leur donner des mesures et elles vous répondent du tac au tac, de ne pas leur faire perdre leur temps ! Elles développent leur propre clientèle car sur chacun des produits nous mettons leur nom et numéro de téléphone. Elles en sont très fières.

A quoi voyez-vous le changement ? Au sein de la communauté ?

Elles deviennent des exemples pour leurs enfants et pour les autres femmes de la communauté. Elles montrent qu’elles peuvent subvenir aux besoins de la famille et aussi aux pères, aux frères et aux maris. Les hommes de la communauté acceptent car ils ne leurs mettent pas d’obstacles. Beaucoup de ces femmes produisent à la maison et par exemple l’équipement du sadu prend de la place. Hors la plupart vivent dans de petites maisons et ce n’est pas un environnement très productif avec les enfants qui sautent par dessus ! Si bien, que lorsqu’elles gagnent un peu d’argent, elles se construisent des ateliers attenant à la maison. Et les hommes les soutiennent sinon ce ne serait pas possible.

Qui sont ces femmes ?

Nous avons près de 150 artisans qui travaillent sous Sougha. Ce sont en général des femmes qui ont de grandes familles et vivent sous le même toit avec leurs enfants et petits enfants. Ils peuvent être jusqu’à 12 dans une petite maison de trois pièces situées dans les villages ou à la périphérie des villes. L’homme de la maison est généralement la seule source de revenu. La plupart de ces femmes ne sont pas éduquées ou illettrées. Elles mènent une vie très simple. Par contre, quel que soit le niveau de vie, vous y verrez toujours un écran plat ou un Ipad.

C’est le contraste actuel ?

Ils ont un mode de vie très traditionnel mais avec des objets de la vie moderne. Et différentes générations vivant dans la même maison. Il existe donc un conflit entre l’envie de conserver ce mode de vie traditionnel et tout de même intégrer des éléments du monde moderne. C’est d’ailleurs le cas dans toutes les familles émiriennes quel que soit leur revenu. C’est le cas chez moi. Nous essayons de maintenir nos traditions mais la jeune génération a un mode de vie occidental.

Vous luttez pour préserver vos valeurs ?

Nous essayons de conserver notre identité, notre héritage et les valeurs des E.A.U.

Pourquoi est-ce si important ?

Sans identité, vous êtes perdus.

Et particulièrement quand les choses changent si vite?

Extrêmement vite. Parfois les gens ont des crises d’identité. Ils ne savent plus qui ils sont.

Diriez-vous que la vieille génération est un peu ébranlée ?

Nos parents le gèrent bien. Ils sont heureux du changement et ils essayent de s’adapter. Mais nos grands parents sont totalement contre.

Qu’enseignez-vous à ces femmes ?

Nous parlons de femmes qui n’ont pas la moindre idée de gestion financière. Beaucoup d’entre elles vendaient à de très petit prix. Et elles se plaignaient qu’elles ne faisaient pas d’argent. Nous leur avons donné un crash course en comptabilité, afin qu’elles comprennent les notions de débit et de crédit. Je vais vous raconter une anecdote amusante. Certaines fabriquent de très jolis sacs en feuilles de palmier. Leila leur a demandé de mettre un prix sur ces sacs, comme exercice. L’une d’elle a proposé 8000 dirhams. Leila lui a demandé pourquoi un tel prix et elle a répondu que c’était le prix de certains sacs de marques connues. Alors Leila l’a étiqueté à 8000 dirhams. Et bien sûr personne ne l’a acheté alors que les autres sacs à des prix raisonnables ont été vendus. Et elle a compris. Un autre cours porte sur la coordination des couleurs. Elles ne savent pas marier les couleurs. Beaucoup de leurs produits avaient des teintes horribles au départ. Nous leur avons appris. Et ces femmes, machala, comprennent vite. Elles apprennent. Elles sont motivées, ambitieuses, passionnées et elles veulent apprendre. Un autre problème que nous rencontrons, est la façon de mesurer. Elles doivent être précises. Elles ne peuvent se permettre une erreur d’un centimètre surtout si c’est pour des fourres d’Ipad par exemple… Et elles utilisent le sheber, la main, ou le dhra’a, le bras, comme unité de mesure ! Mais tout cela change. Elles produisent très exactement les commandes. C’est incroyable comme elles sont devenues opérationnelles.

Quels sont leurs revenus ?

Le plus haut est 139 281 dirhams annuel, avec une moyenne de 11000 dhs par mois. Le plus bas, 1280 dhs annuel, ce qui fait 123 dhs par mois.

A qui vendent–elles ?

Etihad Airways, Intercontinental Hotel, Mercury Hotel, Rotana Hotel, Jumeirah Etihad Towers, NYUniversity, le départment de l’économie… Même chez Bloomingdales !

Et dans quelle tranche d’âge sont-elles ?

Elles ont entre 45 et 50 ans en moyenne. Nous essayons d’intéresser les plus jeunes. A Ras Al Khaimah, nous avions cinq étudiantes dans les media mais qui n’avaient aucun débouché ici. Il leur serait vraiment difficile de trouver du travail sur ce marché inexistant. Alors Leila a organisé un stage de montage et leur a demandé de produire un film court. Elles ont couvert un événement que nous avons organisé à Bastakia. Il fallait les voir à l’œuvre. Elles ont fait un film de très bonne qualité et ont reçu des offres de travail à la suite de ce projet !

www.khalifafund.gov.ae

Quelques dates clés :

1968 : la première association de femmes à Dubaï voit le jour grâce à Hessa Lootah et Aisha Captin

2006 : Dubai Women Establishment est créé par Sheikha Manal bint Mohammed bin Rashid Al Makhtoum

2009 : Sougha initiative débute à Abu Dhabi

«L’entreprenariat est quelque chose de nouveau»

Mini reportage au Julfar Social Center de Ras Al Khaimah

Une vingtaine de femmes en burga vient chaque matin tisser, broder, coudre et boire le café au centre social de Julfar. Un minibus vient les chercher chez elles et les ramène à l’heure du déjeuner. Tout en discutant, leurs mains s’activent sur leur métier à tisser. Aicha Ali Rashoud Al Malik est l’une d’elle. Elle plie mécaniquement le Khous, les feuilles de palmier avec lesquelles elle fabrique des paniers, des corbeilles, des safra (plateaux) ou des makhda (des petits cônes servant à couvrir les plats). « Je fais ça depuis que je suis enfant. J’ai grandi en faisant ça,» raconte-t-elle. C’est une façon de passer le temps de façon utile et maintenant une opportunité de venir discuter avec les autres femmes de la communauté et d’en rencontrer d’autres. Puis Leila Ben Gacem est venue un jour leur donner une séance de sensibilisation au programme de Sougha. Bientôt, Aicha et ses camarades auront l’opportunité de se moderniser, apprendre à travailler de façon plus organisée, plus productive et proposer des produits plus adapté au marché. « Cela me donne le moral de venir ici, un objectif que je n’avais pas avant, » ajoute Aicha. La plupart de ces femmes, sont veuves mais pour celles qui ont des maris, comme Aïcha, ils commenceront par froncer les sourcils mais lorsqu’elles ramèneront leurs premières contributions au revenu familial, ils conviendront que c’est somme toute une bonne chose que leurs épouses montent leur micro affaire. Surtout dans un domaine qui faisait partie de la vie traditionnelle bédouine et qui tombait en désuétude. Sougha apporte un renouveau à l’artisanat local en leur apprenant à fabriquer des plus petits effets adaptés à la vie moderne : housses pour Ipad, protèges-téléphones ou petits sacs à main. Pour Shaikha et sa collègue, ces femmes déterminés, ponctuelles, qui viennent régulièrement au centre ne manquant aucune occasion d’apprendre, c’est à peine une surprise. « Vous savez, pour nous les femmes, c’est une lutte permanente pour obtenir tout ce que nous voulons. Pour les hommes, c’est facile. Tout leur tombe dans la main. C’est quelque chose de naturel d’avoir accès à ce qu’ils désirent. Cela nous rend plus déterminées, plus concentrées, plus passionnées et plus travailleuses aussi, » confie Shaikha.

«L’entreprenariat est quelque chose de nouveau»

L’autre passion de Shaikha Al Shamsi : les livres

Shaika avait une passion. Et elle a désormais un nom : The bookshelter. Avec sa meilleure amie Maryam Al Khayat, elle aussi lectrice assidue et écrivain en herbe, elles ont eu l’idée de monter une plateforme de livres à adopter sur internet. Succès immédiat. « En 2006, nous animions un site « atelier d’écriture » en marge duquel nous proposions des livres à qui voulait les récupérer. Tout de suite des gens les ont demandé et ont proposé d’en donner en échange. Le projet a été immédiatement durable. Tout était recyclé. Nous aimions cette idée que les livres soient adoptés ! Qu’il leur soit donné une seconde chance, » raconte Shaikha. Les deux jeunes femmes ont du fermer le site pour des raisons personnelles. Mais en novembre 2012, elles décident de relancer cette formidable initiative. « Nous proposons des livres gratuits. Nous encourageons les gens à lire. De nos jours, la lecture est compromise. On est sans cesse distrait avec nos blackberry, nos Ipads… La lecture ne fait plus partie de notre routine quotidienne et les livres sont chers, » explique Shaikha. Une culture du livre qui diminue malgré un très fort taux d’alphabétisation aux Emirats. Selon une étude de l’Unesco menée entre 2000 et 2008, 90% de la population émirienne de plus de 15 ans sait lire. Bookshelter peut se targuer d’avoir une moyenne de 3000 livres en circulation, de la littérature pour enfants, de la fiction et de la non fiction : 90% en anglais, quelques rares romans en arabe, des livres en français et allemand et un public très varié. Et cette passion pour les livres, Shaikha et Maryam ont décidé de la transmettre aux plus jeunes de leurs compatriotes. « Nous avons approché des lieux où nous avons pensé qu’il serait bon qu’il y ait une bibliothèque. Nous fournissons les 100-150 premiers exemplaires et nous installons une boîte de dons. Cela devient la bibliothèque personnelle gratuite de la communauté et elle est durable car la plupart du temps les gens qui prennent des livres en donnent aussi, » explique Shaikha. Le Maraya Art Centre d’Al Qasba à Sharjah, leur première bibliothèque, compte maintenant 500 livres. Elles ont aussi sévi au Thalassemia Center du Latifa Hospital à Dubaï, pour les patients et leurs parents « car ils passent des semaines entières en traitement ». Et enfin, à l’école pour filles d’Al Mataf à Ras Al Khaimah, elles ont voulu que chaque classe se fasse sa propre petite bibliothèque en trouvant un sponsor pour les meubles et approvisionnant l’école avec 700 livres. Les élèves prennent soin de leur bibliothèque et les professeurs intègrent même certains ouvrages dans le curriculum. Pour que les livres deviennent une part de leur existence comme ils l’ont été pour Shaikha et Maryam. « Car les livres ouvrent non seulement vos horizons, vos esprits, vous emmènent dans la vie des autres et vous apportent des connaissances, mais ils vous donnent aussi un sentiment de sécurité, » conclut-elle.

http://www.thebookshelter.ae/blog

Les femmes au travail au Julfar Center

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C'est aussi l'occasion de se retrouver et de perpétuer les traditions.

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Les femmes repartent en bus à l'heure du déjeuner.

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